Par Françoise Housty, Juriste et Médiatrice Présidente de DACCORD
La médiation organisationnelle tend à animer, la pensée chère à Paul Ricoeur qui pour exprimer sa vision de l’éthique et du juste déclare : "une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes". Pour trouver un équilibre sain pour que s’installe l’équité, pour que chacun puisse évoluer sans souffrance majeure, l’organisation ou l’institution devrait témoigner et s’efforcer d’être juste.
L’originalité de cette approche en trois strates distinctes qui tendent à un objectif de « visée éthique », est brûlante d’actualité.
Aucune organisation dans tous les secteurs d’activités ne fut épargnée par l’onde de choc provoquée par la pandémie mondiale. La transition brutale qui s’en suit si elle met en exergue des adaptations vitales, parfois douloureuses, pour maintenir l’activité quoi qu’il en coûte, est aussi un révélateur et/ou un accélérateur de mise en lumière de problématiques autres, parfois latentes, dans les entreprises privées comme publiques.
Clarifier les modes de gouvernance, réussir une mutation nécessaire à la survie d’une activité, relever des défis éthiques et actuels de nos organisations sont autant de questions préexistantes au mois de mars 2020 et que la période inédite que nous traversons a placé au cœur des préoccupations immédiates des organisations.
Les changements organisationnels exigent des personnes morales et de leurs acteurs de savoir s’adapter aux contraintes externes en modifiant codes, fonctionnements et relations internes et en cheminant tout au long de la chaine hiérarchique, une organisation ne pouvant être appréhendée sans la penser en système ou en sous-systèmes.
Les responsables au sein de la structure peuvent y faire face en favorisant la collaboration et l’implication des acteurs dans le processus de changement. Le concept de médiation organisationnelle intègre cette notion de collaboration aux fins d’équilibrer les enjeux en présence (pouvoir- économique – social - de santé…) et renforcer les légitimités essentielles. Elle autorise alors avec d’autres éléments, l’impact positif sur l’acceptation et l’appropriation du changement.
La médiation organisationnelle porte un regard novateur sur les différentes difficultés que peuvent rencontrer les organisations tant privées que publiques. Si elle intervient le plus souvent quand le conflit est éclaté en mode curatif et de façon alors spectaculaire, elle agit tout aussi efficacement et fondamentalement en situation préventive.
Elle vise à traiter les relations tensionnelles inter-individuelles, à prendre en compte les difficultés ressenties par les personnes en raison de l’organisation du travail et, constatant le plus souvent un véritable appauvrissement de la qualité de vie au Travail, vise à le restaurer.
Parce qu’un conflit, ouvert, déclaré comme latent, est source d’une grande perte d’énergie, de performance et de confiance au sein de l’espace de travail, la médiation apporte une réponse sur-mesure en distinguant ce qui ressort de la responsabilité des individus et de la responsabilité de l’organisation.
Fondée sur un principe coopératif, les solutions en ressortant empreintes de l’éthique des organisations, sont bâties sur un modèle propre à valoriser une justice organisationnelle.
La médiation développe un modèle spécifique de Justice, en articulant trois niveaux intriqués et simultanés.
Les personnes, toutes les personnes, s’ouvriront à :
1. régler le conflit autrement ; modèle coopératif l’individu n’a d’autre choix que de comprendre la nécessité d’interagir pour sortir du problème, d’une manière consensuelle (négociation) et en vue d’un résultat (une entente), qui l’un et l’autre seront perçus comme justes aux yeux des protagonistes ;
2. commander et relationner autrement, en impliquant chacun favorisant un haut degré de motivation pour un résultat sous-tendu par la collaboration grâce à la perception de ce que les règles/les ordres qui se mettent en place sont justes ;
3. s’enrichir par un savoir autrement, c’est-à-dire en intégrant d’autres modes d’organisation pour stabiliser les perceptions de justice.
La médiation en organisation est susceptible d’accompagner une réponse à la question de l’injustice dans l’organisation.
Comment ?
1. Par une activité préventive du risque conflictuel.
Les actions du médiateur se focalisent sur l’élimination des perceptions d’injustice car ces dernières polluent le climat organisationnel, menaçant parallèlement la bonne santé ou le bien-être des collaborateurs, mais aussi la bonne réalisation des objectifs managériaux.
Répondant à un diagnostic organisationnel centré sur les perceptions de justice/injustice par les membres du collectif humain, le médiateur anime des ateliers de travail. Le médiateur ne fournit pas de conseils ni de solutions. Son travail consiste à questionner et à être dans la réflexivité.
Les questions ainsi posées visent à élaborer d’autres modes relationnels au sein du collectif humain, au travers d’accords adaptant les règles et leur système régulateur, afin d’obtenir la meilleure coopération et la meilleure implication des collaborateurs.
Véritable travail de fond, la spéléologie ainsi menée par la médiation organisationnelle aide à mettre des mots sur les dysfonctionnements et à la perception de justice des règles et ordres qui en ressortiront.
Car le médiateur organisationnel appuie son action sur le « vivre ensemble » dont il sait qu’il nécessite une harmonie organisationnelle entre les trois pôles de fonctionnement que sont les règles sociales, le pouvoir social et l’obéissance à ces règles et/ou à l’autorité qui les ordonne et les coordonne. C’est l’originalité de l’agir communicationnel .
Si un seul de ces trois éléments fait défaut dans le collectif humain, le groupe voit diminuer sa capacité de créer de la plus-value et il perd sa raison d’être.
C’est précisément la mission d’un médiateur organisationnel de questionner pour anticiper ce risque de moins-value.
2. Par une action « curative » quand le conflit est déclaré.
Le médiateur questionne les ressorts du conflit, cherchant à nouer l’entente sur des règles du vivre ensemble, c’est-à-dire faire en sorte que les règles organisationnelles au sein du collectif humain répondent aux impératifs d’un bon climat organisationnel en toutes ses composantes, qu’elles soient d’ordre individuel (traits de personnalité des collaborateurs & du leadership) ou d’ordre social (contexte intra-organisationnel/environnement extra-organisationnel).
La mission du médiateur n’est jamais de faire sanctionner ni licencier un manager inadapté ; cette tâche de gestion, c’est le rôle du leadership général. Le médiateur se contente simplement de négocier la règle du vivre ensemble, dans le but que le système régulateur soit relégitimé.
Comment y parvenir ?
C’est bien tout l’art du médiateur organisationnel qui par un travail de questionnement tiendra compte en permanence des valeurs individuelles et des valeurs sociales pour créer sens et équilibre.
Il développera l’intercompréhension mutuelle son cœur de métier pour que les personnes assoient leurs actions dans la concertation rendue possible dès lors qu’aucun pouvoir ne viendrait s’exercer en simple domination, en emprise ou manipulation.
La médiation organisationnelle au confluent de l’éthique et de la justice organisationnelle restaure la légitimité en questionnant les pratiques de justice distributive, de justice procédurale et de justice relationnelle, en vue de rétablir une règle et un leadership acceptables et acceptés.
On comprend ici la nécessité de « faire tiers » et « tiers réflexif » pour que la parole de violence que subissent parfois les individus ou des groupes d’individus dans les organisations puisse être reçue. Et entendre un appel à justice par l’expression « de son injustice » implique des qualités d’indépendance, d’impartialité, de neutralité, pour susciter l’adhésion.
La médiation en ce qu’elle est génétiquement programmée en un modèle de justice accompagne et soutient les organisations humaines aux fins de fonctionnements fondés sur la confiance, la réciprocité et la reconnaissance.
Le rôle d’un médiateur organisationnel est d’y contribuer.
Le monde change et nous vivons véritablement un changement de monde. Transformer les défis d’ampleur en changement durable est le ferment même de la médiation organisationnelle.
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