Françoise Housty
Médiatrice - Présidente fondatrice de DACCORD
Co responsable du DU de Médiation civile, sociale, commerciale Université de Toulouse Capitole
Chargée d’enseignement Université de Toulouse Capitole&
Pierrette Aufière
Avocat honoraire, médiatrice cofondatrice de DACCORD
On hasarde de perdre en voulant trop gagner » (Fable Le Héron de Jean de la Fontaine).
Nous nous réjouissons de l’avancée des modes amiables et de la médiation comme en attestent les dispositions légales et réglementaires de ces derniers mois. Insuffler de l’amiable et la responsabilisation des personnes en préalable ou durant la procédure judiciaire impose alors une cohérence sans faille entre le recours à la médiation, l’articulation entre la procédure judiciaire et le processus de médiation et la clarification du rôle et de la place du médiateur.
La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire dans son chapitre 2 du titre V : « Conditions d’intervention des professions du droit », apporte dans ses articles 44, 45 et 46 de nouvelles modifications concernant la médiation mais aussi le médiateur.
L’Article 44 ajoute à l’article L111-3 du Code des procédures civiles d’exécution un 7eme alinéa rédigé comme suit : « Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties est revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente ».
Ce texte nouveau de l’article 44 soulève quatre grandes interrogations.
I. Première interrogation : existe-t-il une différence entre « Les transactions » et « les actes constatant un accord issu d’une médiation » ?
Plusieurs termes ici s’entremêlent.
La notion de « transaction » se réfère-t-elle à la terminologie précise de l’article 2044 du Code civil et, dans la seconde partie du texte, faut-il la distinguer des « actes » dont l’origine serait un « accord issu d’une médiation » ou « d’une conciliation ou d’une procédure participative » ?
Peut-on comprendre que le terme de « transaction » s’appliquerait à un acte juridique autonome et différent des « actes constatant un accord », créant ainsi des titres exécutoires de natures différentes, tous cependant concernés par le contreseing des avocats et la formule exécutoire apposée par le greffe ?
La lecture d’un des comptes rendus de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, apporte un développement sur ces termes mais non un éclaircissement [1].
Dans la partie du projet de loi consacrée au « Chapitre II - Conditions d’intervention des professions du droit » en son article 29 (avant qu’il ne devienne l’article 44 dans la loi promulguée), la discussion est engagée quant à la modification de l’art. L111-3 du Code des procédures civiles d’exécution en vue de l’ajout à la liste des titres exécutoires des actes contresignés par avocats dans le cadre des modes amiables de règlement des différends.
L’analyse du rapporteur, M. Stéphane Mazars, sur la transaction ne clarifie pas la nuance entre « transaction » et « actes constatant un accord ».
Sur la question d’un participant craignant la confusion entre la transaction et la transaction immobilière ce dernier développe la réponse suivante :
« Ce dont il est ici question, ce sont des modes alternatifs de règlement des différends. Par « transaction », on entend l’accord qui met fin à un contentieux, avec concessions réciproques etc., et non une transaction immobilière. On s’inscrit, non pas dans le champ couvert par les professions réglementées, telles que les notaires, mais dans celui du règlement des conflits par la procédure participative, la transaction ou la médiation. Un acte sous seing privé va être rédigé, signé par les avocats des deux parties puis présenté au greffe pour qu’on y appose la formule exécutoire, ce qui permettra d’exécuter les termes de la convention - mais cela restera bien évidemment un acte sous seing privé, ce ne sera pas un acte authentique. Les avocats engagent leur responsabilité, et si l’acte est mal ficelé, il pourra être contesté et son annulation demandée pour atteinte à l’ordre public, de même qu’il pourra être remis en cause si les concessions ne sont plus réciproques. Cela reste une transaction ».
De bonne intention sans nul doute, ceci cependant vient obscurcir l’interrogation majeure sur la nature de l’accord issu d’une médiation dont la conséquence n’est pas anodine pour le médiateur.
Que faut-il retenir ? transaction ou acte constatant un accord ?
Après avoir cité pour la finalisation du conflit la transaction, la médiation, la conciliation et la procédure participative répétant la chronologie de l’article 44 de la loi, le rapporteur qualifie tout d’abord le cadre juridique de l’accord comme un acte sous-seing privé qui, revêtu de la formule exécutoire permettra d’exécuter les termes de la « convention ».
Ce mot de « convention » n’a nullement été évoqué jusque-là. Assimilé juridiquement au « contrat », il est une dénomination différente pour la consécration d’un « accord ».
Cet « acte » demeurerait donc un acte sous-seing privé pouvant être remis en cause, en sus de la notion d’ordre public, si (nous citons) les « concessions ne sont plus réciproques. Cela reste une transaction » [2].
Pour plus de simplicité, ne faudrait-il pas mieux alors en déduire que la transaction article 2044 du Code civil et la convention sous seing privé sont bien deux modes différents de constatation d’accords entre les parties.
Surtout que, comme le rappelle le même rapporteur, la transaction exige des concessions réciproques, dans la définition même de l’article 2044 du Code civil : « La transaction est un contrat par lequel les parties par des concessions réciproques terminent une contestation née ou préviennent une contestation. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
Or, et c’est bien là ce qui différencie la médiation de toute autre approche, les options élaborées et les solutions auxquelles les personnes vont se rallier mutuellement, ne sont pas automatiquement, ni surtout pas obligatoirement, construites sous la condition ni le résultat de concessions réciproques.
Bien au contraire comme en témoignent la logique, la pratique et le fonctionnement des personnes et du médiateur dans le processus de médiation !
C’est ainsi qu’avait statué le Tribunal administratif de Poitiers dans sa décision du 28 juin 2018 (n°1701757 lecture du 12 juillet 2018) considérant qu’il n’existe pas « une libéralité de la part de la collectivité publique » en contrepartie des aménagements ayant permis de résoudre le fond du différend, excluant donc la notion de « concessions réciproques » de la validité de l’accord résultant d’une médiation.
La médiation n’est pas du donnant-donnant mais du gagnant-gagnant.
Réduire et enfermer l’accord de médiation au strict statut juridique de la transaction est non seulement incompatible avec les ouvertures possibles de ces accords mais serait même périlleux.
II. Deuxième interrogation : existe-t-il une différence entre l’accord sous-seing privé « contresigné par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente » et l’homologation de l’accord sollicitée en application des articles 131- 12 et/ou 1534 du Code de procédure civile ?
Concernant l’apposition de la formule exécutoire sur l’accord contresigné, le même rapporteur en détermine les contours, toujours dans le même compte rendu de la commission des lois : « Quand deux parties concluront un accord, deux possibilités leur seront offertes.
Elles pourront, comme c’est le cas aujourd’hui, solliciter auprès du tribunal, par voie de requête, l’homologation de l’accord auquel elles ont abouti ; un contrôle sera opéré sur le fond par le magistrat, la formule exécutoire sera apposée, et, dans ce cas, l’acte ne pourra pas être remis en cause, si ce n’est sous des conditions très restrictives. Ce que nous allons voter permettra d’aller beaucoup plus vite : plutôt que de solliciter une homologation devant certains tribunaux judiciaires, ce qui prend nécessairement du temps, on ira directement faire tamponner l’acte au greffe. Ce ne sera toutefois qu’un acte sous seing privé, revêtu d’une formule exécutoire, qui pourra être remis en cause devant un juge dans le cadre des règles de droit commun : problèmes de prescription, problèmes d’exécution etc »….. et problème de respect des règles d’ordres publiques.
L’intérêt avancé par le rapporteur entre l’homologation et l’acte sous seing privé revêtu d’une formule exécutoire résultant de l’article 44 de la loi se justifierait par le fait « d’aller beaucoup plus vite ». Mais cet intérêt est immédiatement pondéré par le fait que ce même acte « pourra être remis en cause devant le juge ».
D’évidence cet acte sous-seing privé contresigné par des avocats, surtout s’il est rédigé sous forme de transaction (article 2044 du Code civil) même revêtu d’une formule exécutoire, portera en lui-même les germes de sa contestation potentielle faisant naitre une insécurité juridique.
L’incidence vis-à-vis des personnes et des tiers en est tout de même préoccupante.
Est-il utile de rappeler ici tous les contentieux sur les applications ou contestations des transactions dans toutes les matières où elles ont été formalisées. La Cour de cassation, par un arrêt du 28 septembre 2017 (Deuxième chambre civile -Arrêt n° 1263), a même jugé que
« l’homologation d’un accord transactionnel qui a pour seul effet de lui conférer la force exécutoire ne fait pas obstacle à une contestation de la validité de cet accord devant le juge de l’exécution ».
Indépendamment du fait que le greffe n’a qu’un contrôle restreint à apporter sur les documents qui lui sont présentés (notamment sur sa compétence et la nature de l’acte), ceci relevant du récent décret n° 2022-245 du 25 février 2022, les modalités des articles nouveaux 1568, 1569, 1570 et 1571 du CPC inhérents à ce sous-seing privé, en vue de son exécution et de sa contestation, la question reste pleine et entière.
Quant à l’homologation, sous forme d’une demande conjointe présentée à un magistrat, son processus même relevant du principe du « gracieux », confère au juge tout pouvoir de contrôler que les conditions de la protection des personnes sont remplies en sa qualité de tiers judiciaire investi de cette mission. Cette place ne retire en rien celle différente de conseils et de vigilance des avocats respectifs.
La demande à fin d’homologation le sera en application du Code de procédure civile au bénéfice de l’article 131-12 du CPC pour la médiation judiciaire et de celui de l’article 1534 du CPC pour la médiation conventionnelle.
Cet imperium du juge, dont le regard est alors uniquement porté sur l’accord qui lui est présenté afin qu’il soit effectivement applicable pour tout un chacun, est un parachèvement potentiel et participatif de la volonté commune des parties.
L’homologation en matière de médiation n’est toutefois pas une obligation : le principe même de la médiation, en dehors de la nébuleuse question en matière judiciaire de la rédaction des accords des parties, n’est-il pas justement de laisser la totale liberté de l’utilisation de son résultat, liberté contenue dans le même article 131-12 du CPC, lequel déclare que les parties « peuvent » solliciter l’homologation du magistrat.
En réalité, il convient d’interroger la motivation de cette modalité de l’article 44 de la loi, qui devrait faciliter et clôturer tous différends de manière sécure ?
Aller plus vite pour détenir un titre exécutoire.
Certes l’exécuter, mais contre qui s’agissant spécifiquement d’un accord issu de discussions amiables ?
Évacuons immédiatement la notion de « tiers » qui solliciteraient ce document pour valider leurs propres interventions, comme, dans le même esprit, ils sollicitent à ce jour une décision judiciaire.
La formule exécutoire ne permet qu’une chose : exécuter, à supposer que l’on aurait besoin d’exécuter l’accord.
Si l’exécution doit devenir un moyen entre les parties de se rassurer dans la possibilité de se contraindre l’un et l’autre à appliquer les solutions construites en médiation, c’est que dans ce cadre ils n’ont pas réussi la reprise d’un minimum de confiance, sinon de communication.
Ces postures ne relèvent alors que de leur seule responsabilité en tant qu’individus et ceci malgré tout le soutien et la compétence du médiateur.
Et allons plus loin, que garantit ce besoin de sécurité d’exécution subitement pressant que viendrait permettre l’estampille de la force exécutoire ?
La meilleure « garantie » de la médiation ne se démontre-t-elle pas dans la mise en application par les personnes elles-mêmes des décisions intervenues, sous réserve donc des besoins de leur communication et/ou d’opposabilité aux tiers.
Et donc, à ce dernier égard, il est patent que l’homologation reste l’option la plus efficace surtout de surcroît si l’on veut permettre que les accords de médiation puissent s’étendre en dehors du territoire national.
III. Troisième interrogation : existe-t-il une différence entre l’accord sous-seing privé « contresigné par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente » et les autres accords écrits qui « sortiront » de l’enceinte de la médiation ?
Elle est fondamentale et doit le demeurer. Est encore plus mis en lumière par l’article 44 de la loi, le principe selon lequel la rédaction d’un sous-seing privé demeure une exclusivité des praticiens du droit pouvant le rédiger en application des textes en la matière savoir les art. 54 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
De nombreux articles [3] concernant la rédaction de l’accord en médiation insistent sur le fait qu’il ne saurait être établi par le médiateur, lequel ne remplit pas forcément les conditions de ces textes.
Même si le médiateur, eu égard à son appartenance à un corpus juridique ou judiciaire, en possède la compétence scripturale, les conditions d’une assurance responsabilité civile professionnelle, si tant est qu’elle le couvre dans cette fonction parallèle, ne sont pas aussi évidentes si un contentieux lié à la rédaction de l’accord sous l’égide dudit médiateur, venait à naitre.
Cela ne résout pas la question épineuse de la nature de ce constat d’accord issu de l’espace de médiation et quid de la place des médiateurs issus d’autres milieux ? [4].
IV. Quatrième interrogation : existe-t-il une différence entre les intervenants praticiens du droit ou autres professions réglementées et celle du médiateur dans notre système législatif et réglementaire ?
La lecture des textes intervenus et qui se succèdent classent la médiation, et surtout le médiateur, dans diverses catégories du droit, alors que, fondamentalement, aucun statut juridique ne lui est encore volontairement accordé.
Pour exemple, le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 relatif à l’aide juridictionnelle répertorie le médiateur sous l’intitulé suivant : (Sous-section II) « Rétribution des autres auxiliaires de justice ».
Dans la loi nouvelle susvisée, le médiateur est concerné par les articles sur la médiation dans son chapitre 2 du titre V intitulé « Conditions d’intervention des professions du droit ».
Une évidence s’impose, celle de l’alimentation de la confusion de la place du médiateur.
La catégorie de « professionnels du droit » de facto attribuée au médiateur et la possibilité ouverte de rédiger « un acte constatant l’accord » sont autant d’éléments qui impactent l’exercice de la médiation et qui appelleraient une réponse claire du législateur.
Il existe donc une différence évidente et ceci en dehors de toute autre considération, par le simple fait que le médiateur ne peut encore bénéficier d’aucun statut malgré une demande prégnante à nouveau formulée récemment par le collectif M21 [5].
Or, doter le médiateur d’un statut, autoriserait l’arrêt de cataloguer dans des textes, ainsi que la médiation, sous des dénominations les moins adaptées à son rôle.
Rôle dont on ne cesse de prôner la nécessité si ce n’est la modernité.
Cependant en l’état comment ne pas constater aussi, selon les milieux et le regard que l’on porte sur son activité, que le médiateur est autant rejeté que sollicité nous mettant face à un défi paradoxal.
Car c’est probablement ce qui le caractérise, le médiateur, tiers bousculant et innovant, ne peut laisser indifférent tant il apporte une plus-value par l’acceptation des différences…