La médiation, la relation et le savoir faire du médiateur
Par Safia ERHART
Ancien RH Grand Groupe
Coach certifiée ICF
Médiatrice membre de DACCORD
Débattre ! les contraires s’affrontent et personne n’écoute, si bien qu’il faut toujours recommencer...
Recommencer, mais pour dialoguer en renonçant à la prétention de saisir et de reproduire la réalité de manière immédiate. Faire front face à l’opinion qui coupe toutes pensées et déployer la médiation. Bivalence, une face tournée en amont et une face tournée en aval, au milieu du chemin sur la traversée à gué pour saisir la signification immédiate du sens de tout cela.
Un médiateur vigoureux soucieux de la relation pour une solution juste.
Lorsqu’elles arrivent en médiation, les personnes sont porteuses de l’ensemble des schémas et repères socio-culturels à partir desquels elles se sont construites, et qui contribuent à définir leur statut, leur place et rôle dans la société. Communiquer avec l’autre revient donc à établir une relation sous-tendue par des enjeux identitaires, culturels et territoriaux plus ou moins conscients, acceptés ou partagés.
Il est fréquent de constater que le motif annoncé en début de médiation n’est que la partie émergée de l’iceberg, partie visible d’un enjeu plus profond en lien avec la structure relationnelle des personnes en présence. Le rôle du médiateur est alors de faire émerger progressivement les sources profondes du conflit en amenant les médiés à aller au-delà de la simple expression de leur conflit. Ce rôle est essentiel pour trouver une véritable issue au conflit, plutôt qu’une solution au litige de premier niveau.
Comment le médiateur s’y prend-il ?
En séance, le médiateur va installer et maintenir la parité entre les médiés dans un rapport d’Adulte à Adulte. En réalité, il est face à trois interlocuteurs, A, B et la relation de A+B, voire davantage lorsque les médiés sont accompagnés de leurs conseils. Mais restons dans le cadre le plus simple pour éclairer notre propos.
L’interlocuteur principal du médiateur est donc le système relationnel A+B, dans lequel A et B interagissent selon des règles et une logique de fonctionnement propres à ce système.
Celui-ci va s’attacher à comprendre la complexité de ce système à partir de la subjectivité de chacun, des émotions, attentes et peurs réciproques implicites ou exprimées ; en particulier il cherche à identifier comment s’est construit l’équilibre du système et à quel moment il y a eu rupture de cet équilibre, pour faire apparaître les leviers possibles d’un changement positif et donc favoriser la résolution du conflit.
Différentes raisons peuvent être source de conflit : la genèse de la relation, la structure de la relation, la place, les rôles ou statuts de chacun dans le système et enfin l’insatisfaction des besoins relationnels fondamentaux.
1/ La genèse de la relation ou « les prémices contiennent la fin comme la graine contient l’arbre ».
Toute relation entre individus, qu’elle soit paritaire ou hiérarchique, employeur-salarié, vendeur-acheteur, médecin-patient, relation de voisinage etc, débute par un processus d’ajustement qui vise à se positionner l’un par rapport à l’autre en projetant sur la relation sa propre vision et ses attentes. Elle aboutit, lorsque la relation perdure dans le temps, à un « contrat psychologique » implicite entre les parties. Ainsi par exemple, lors d’un recrutement, un artisan peut choisir un candidat dans la perspective d’une transmission de son entreprise à plus ou moins long terme, alors que le candidat de son côté, s’en tient à une place de salarié dont il attend une certaine sécurité.
Si ce contrat caché n’est pas clarifié au démarrage de la relation, il y a un risque fort de détérioration progressive de cette relation.
2/ La structure de la relation ou « la forme c’est le fond qui remonte à la surface ».
L’ajustement de la relation entre deux personnes se fait à partir des représentations
socio-culturelles de chacun (cadres de références), de leurs personnalités respectives et de la façon dont chacun se positionne naturellement dans la relation à l’autre.
Ainsi différentes combinaisons structurelles sont possibles : relations paritaires ou symétriques, lorsque les personnes se positionnent au même niveau, complémentaires lorsqu’il y a un décalage de niveau, ou encore hiérarchiques dans le cas de relations asymétriques intégrant une notion de pouvoir.
La façon dont les personnes structurent leur relation va ainsi induire une série d’attitudes et de comportements qui selon le cas, vont renforcer la relation dans l’entente et l’harmonie ou à l’inverse nourrir l’escalade du conflit jusqu’à la rupture.
Le modèle du triangle dramatique de Karpman, décrit très bien les schémas transactionnels déséquilibrés entre les trois rôles interdépendants de Sauveur, Persécuteur ou Victime, que chacun peut endosser tour à tour. Cette interdépendance vient du fait que chaque rôle a besoin d’être en interaction avec les deux autres : la Victime a besoin du Persécuteur ou du Sauveur pour confirmer sa posture de Victime, de même que le Persécuteur cherche une Victime pour répondre à ses besoins inconscients ou non exprimés de contrôle ou de pouvoir.
Notons qu’il y a souvent une intention positive derrière ces rôles qui, lorsqu’elle est exprimée par les personnes elles-mêmes, ou identifiée par le médiateur en séance, permet de rééquilibrer la relation à partir des besoins réciproques.
3/ Rivalités et compétition dans les relations ou « à lutter avec les mêmes armes que ton ennemi tu deviendras comme lui ».
Il n’y a pas de modèle relationnel idéal. Une relation est dite équilibrée lorsque les deux partenaires sont satisfaits de cette relation, qu’elle est dénuée d’enjeu sur le rôle ou la place de chacun. Pour exemple, un binôme qui a construit une relation complémentaire de type « Parent-Enfant », plutôt que « Adulte-Adulte », peut fonctionner de façon harmonieuse tant que chacun est satisfait de sa place et de son rôle dans ce binôme.
En revanche, deux personnes ayant établi un mode relationnel « Adulte-Adulte », peuvent tout à fait entrer dans une bataille d’égos à partir d’une divergence d’opinions, de valeurs ou de conception de leurs statuts ou rôles respectifs, par exemple le père ou la mère de famille peut estimer avoir « un droit prioritaire » sur ses collègues pour poser ses congés en période de vacances scolaires, ou la personne qui établit une hiérarchie implicite liée à son âge, son ancienneté, etc.
Un autre type de déséquilibre relationnel s’explique par la confusion des places respectives, comme dans le cas des « parents-copains » de leurs enfants, où la hiérarchie des rapports est gommée, ou à l’inverse lorsqu’une personne se retrouve dans une situation de commandement par rapport à ses anciens collègues, ce qui va nécessiter qu’elle change de place dans l’équipe pour poser son autorité.
Dans toutes ces situations, le conflit va naître du décalage de représentations entre les membres du système, et le rôle du médiateur est de faire émerger ces différences pour favoriser une compréhension mutuelle et partagée de ces schémas.
4/ L’insatisfaction des besoins relationnels ou « ce qui ne s’exprime pas s’imprime ».
Selon l’analyse transactionnelle, toute personne a besoin de recevoir des signes de reconnaissance de la part des autres pour rester en bonne santé, sachant que le niveau de ces besoins diffère d’un individu à l’autre, comme on le constate par exemple avec les enfants qui sont plus ou moins demandeurs de reconnaissance positive de la part de leur entourage. Lorsque dans une relation ces besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, on a tendance à manipuler l’autre pour obtenir un signe reconnaissance, quitte à ce qu’il soit négatif car en matière de relations humaines, rien n’est pire que l’indifférence.
La difficulté à satisfaire ces besoins relationnels vient du fait qu’ils sont fonction de la personnalité de chacun et ne sont pas toujours compatibles. Ensuite, le médiateur questionne et gère le processus d’ajustement relationnel pour identifier les décalages à partir des propos et ressentis exprimés, et savoir à quel endroit mettre le curseur pour respecter les besoins de chacun sur quatre ou cinq dimensions principales :
Quelle est la bonne distance relationnelle, le bon niveau d’ouverture qui permet à chacun des médiés de ne pas se sentir insécure, nié, ou envahi par l’autre ?
Comment faire en sorte que chacun puisse s’exprimer dans l’authenticité sur son ressenti et ses pensées ?
Comment gérer le conflit entre les faits objectifs et rationnels d’une part et ce qui relève de la subjectivité et des émotions de chacun d’autre part, et sans laisser la place aux jugements réciproques ? C’est souvent à cet endroit que se trouve le levier qui peut faire basculer le processus de médiation pour entrevoir une solution, parce que les ressentis ont été compris et entendus et non jugés comme une vérité ou un mensonge ;
Quels sont les besoins de chacun en termes d’autonomie dans la relation, sans tomber dans l’indépendance totale ou au contraire la dépendance ?
En conclusion, pour gérer ces enjeux relationnels, le médiateur doit être attentif à tous les signaux faibles de la communication entre les médiés et ne pas se laisser piéger dans le récit détaillé ou les enjeux immédiats dans lesquels ils se sont eux-mêmes enfermés depuis un certain temps.
Dans ce processus de médiation, il est tout à la fois observateur et acteur : observateur de tout ce qui se passe « ici et maintenant » entre les médiés, dans le verbal et le non verbal, l’explicite et l’implicite ; il est aussi acteur dans le sens où sa priorité est de gérer le contexte, rester maître du cadre et s’impliquer dans l’action en favorisant une logique relationnelle constructive.